mercredi 19 octobre 2011

Secret

Il y a des secrets lourds à porter.

Ma mère en porte un depuis qu'elle a 12 ans, et a décidé qu'elle irait en terre avec lui. Même si il étrangle sa vie.

Je ne suis pas subitement entrée dans le secret, même si elle me l'a mis en mots hier. Ce secret là, je le portais déjà sur mes épaules depuis longtemps, avec elle. Ses effets, ses incohérences, le goût du sang, je le connais depuis toute petite. Mais maintenant, je peux le nommer, et j'ai l'impression d'arriver à comprendre un peu mieux d'où je viens.

Ma mère m'a mise au monde à 18 ans pour que je répare son coeur, une mission impossible pour un enfant. Et en plus de faillir à ma mission, je n'ai pas pu recevoir ce que les enfants reçoivent de leur parents. Son monde instable, chimique, flou et vide, c'était aussi le mien. Je crois que j'ai quand même longtemps porté cette mission de protéger ma mère et de la faire rire avec mes petits moyens d'enfant-adulte. Il y a des choses qui se sentent encore plus quand elles ne sont pas dites. Alors j'ai pris mes distances de ce monde étouffant, et j'ai pu grandir, je crois.

Ma mère n'est pas comme les autres mères. Depuis que j'ai vieilli, je me rends bien compte qu'elle, elle est restée enfant. Tout ça peut-être un peu parce que son secret, la honte et le sentiment d'être mauvaise a pris la place de la vie qui aurait du suivre son cours.

Moi, je n'aime pas ces secrets là. Je crois que les choses doivent être dites sans quoi, elle font un mal qu'on arrive pas à clôturer, qui se répands comme une infection qu'on ne peut pas traiter, faute de nom. Mais ce secret est désormais le mien, comme il l'a toujours été au fond.

Un jour, un grand frère a décidé d'imposer ses jeux d'adultes à sa petite soeur. Pendant des années, ils ont construit un secret qui ne pesait qu'à la petite fille. C'est elle qui portait la responsabilité de dévoiler le scandale.

Elle ne l'a jamais fait, comme on le lui a fait promettre maintes fois, pour préserver son frère, ses parents et tout ceux qui pourraient se sentir mal de n'avoir rien fait, rien vu. On lui a enlevé son pouvoir, on l'a rendue responsable de la profondeur de la blessure qui s'est faite en elle et de ce que ça pouvait faire aux autres.

Qu'on ne me parle pas de pardon. C'est autre chose. C'est vouloir être aimée à tout prix, malgré tout, un souvenir de ces années là, un dysfonctionnement du coeur. Je connais la honte de ces secrets là, mais parler, c'est affirmer sa valeur, c'est remettre la responsabilité de leurs actes à ceux qui les ont initiés.

Ces secrets là explosent comme des bombes quand ils sont libérés, mais ils font aussi exploser les murs d'incompréhension qui s'élèvent entre la victime et les autres, qui pourraient se penser responsable de cette brisure de trajectoire manifeste mais incompréhensible. On ne fait pas mal aux autres en dévoilant la vérité, on leur fait un cadeau. C'est ce que j'aimerais qu'elle comprenne...

Evidement, je me sens comme si un train m'était passé sur le corps et faisait résonner les échos de mes propres traumatismes. Je n'ai pas pu m'arrêter de trembler en lisant les mots de ma mère. Mon oncle? Mon parrain?!!! La colère et le mépris côtoient la pitié pour cet homme qui lui a supposément présenté ses excuses, comme si c'était suffisant. Le regret et la honte à vie me paraissent un châtiment bien plus juste. Mais tout ça, ce ne sont pas des histoires de justice. Souhaiter le mal ne fait que continuer le chemin du mal. Qu'ils vivent, qu'ils guérissent et que ces choses là n'arrivent plus.

N'empêche que je ne crois pas au pardon chrétien. Les violences sexuelles et les autres, c'est mal, c'est injuste, c'est horrible, il faut le crier sur tous les toits, pour que les victimes ne se sentent plus responsables et aient leur juste droit à la colère et à la haine libératrice. Et peut-être aussi pour que les agresseurs puissent expier un peu leur faute et en être libérés, pour que ça ne se reproduisent plus. Les secrets empoisonnent tout le monde et font que le cycle recommence.

Rien ne saurait réparer le mal à large spectre qu'un viol sème. C'est une prise de pouvoir qui laisse brisée, qui déshumanise. On ne peut se contenter que d'en guérir, d'être plus forte que le mal, de continuer, pour narguer le destin, parce qu'on a le contrôle sur rien d'autre.

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